La gazette de KAZA: littérature et diplomatie…

  • INTERVIEW : Henry Cuny, écrivain, ancien ambassadeur de France en Arménie

  • Le langage diplomatique est réputé par sa réserve, tandis que la littérature est d’habitude généreuse par son expression, linguistique et/ou sentimentale. Comment avez-vous allié ces deux extrémités apparentes dans votre carrière d’à la fois diplomate et écrivain ?

Je trouve au contraire qu’il y a une continuité entre la diplomatie et l’écriture. En premier lieu le diplomate écrit beaucoup et de la finesse comme de l’acuité de ses analyses dépend la bonne information de ses autorités et leur juste appréciation des réalités du pays où il exerce sa mission. Le diplomate comme l’écrivain ont en commun la tâche de démêler la psychologie, l’un de ses interlocuteurs, l’autre de ses personnages, d’anticiper leurs réactions et d’imaginer la suite des événements, donc des scénarios. Enfin les deux activités se nourrissent l’une de l’autre, la littérature des rencontres du diplomate avec d’autres pays, d’autres cultures, la diplomatie d’une sensibilité aiguisée de l’écrivain pour percer l’âme des peuples et la part de non-dit des êtres.

L’écrivain est celui qui rapproche le vrai de l’imaginaire, la réalité du « peut-être » : mais l’imaginaire et le peut-être ne sont pas le faux, ils sont la part fécondante du réel. Oscar Wilde disait : « La littérature anticipe toujours la vie. Elle ne la copie pas, mais la moule à ses fins ».

Le diplomate est un témoin mais lui aussi doit anticiper le monde à venir.

L’écrivain, comme tout diplomate accompli, est un psychanalyste de l’homme et de la société. Et l’écrivain, comme le diplomate, tout en observant « les choses derrière les choses » ont le regard tourné vers le futur. L’écrivain apporte peut-être au diplomate le surcroît d’imagination pour l’accouchement d’un monde meilleur.

  • Une question que l’on pose beaucoup aux écrivains : Pourquoi écrivez-vous ? Est-ce une nécessité, un besoin de transmettre des choses, ou simplement un plaisir ? Et qui est l’écrivain en général, selon vous ?

Depuis que je sais tenir une plume, c’est-à-dire depuis le cours préparatoire, j’ai pris plaisir à écrire, d’abord des petits poèmes puis des romans. Et chaque fois j’ai essayé de transmettre quelque chose, que ce soit une émotion, la beauté d’un paysage ou la complexité intérieure des êtres qui ne sont jamais monolithiques, qui ont chacun leurs failles et leurs rêves, qui sont juste englués dans l’unicité de leur parcours de vie. Tchékhov disait des écrivains : «  Les meilleurs d’entre eux sont réalistes et décrivent la vie telle qu’elle est, mais parce que chacune de leurs lignes est imprégnée, comme d’un suc, de la conscience de leur but, vous sentez, en plus de la vie telle qu’elle est encore, la vie comme elle devrait être, et c’est cela qui nous séduit ».

  • L’un de vos derniers livres porte sur l’Arménie et le peuple arménien. Qu’est-ce qui vous a inspiré ou marqué le plus durant votre mission dans ce pays (2002-2006) ?

L’essentiel a été écrit alors que j’étais encore en poste, dans la dernière année de mon séjour. Dans mon esprit il s’agissait de faire découvrir ce pays et ce peuple, si attachants et accueillants, à ceux qui ne les connaissaient pas encore, n’ayant pas l’outrecuidance de vouloir apprendre quoi que ce soit à sa diaspora. J’avais beaucoup discuté avec les étudiants de l’université française, l’UFAR, de la nécessité de développer le tourisme, notamment rural : le potentiel existe, la tradition d’accueil est légendaire, le besoin de développement régional est évident, l’Arménie est un des – de plus en plus rares – pays sûrs dans le monde… La culture millénaire de ce pays est exaltante.

Mais peut-être ce qui m’a le plus inspiré c’était de m’immerger dans un peuple qui remonte à la Genèse, avec le sentiment qu’il allait m’apprendre des choses sur moi-même puisque nous sommes tous quelque part des descendants de Noé. Je me suis donc intéressé à sa langue, à sa spiritualité à travers Grégoire de Narek, à sa créativité artistique à travers l’œuvre de Sarian et je dois dire que j’ai été conquis par sa jeunesse travailleuse, éduquée et inventive.

  • « Arménie, l’ame d’un peuple » (Paris, Éditions Sigest, 2016) a paru en français et en arménien. À qui s’adresse ce recueil d’essais ? Qu’est-ce qu’elle réserve aux lecteurs francophones et arménophones ?

Si j’ai écrit ce livre pour faire découvrir l’Arménie à ceux qui ne la connaissent pas encore, je m’aperçois que la majorité de mes lecteurs sont arméniens, soit de la diaspora, soit d’Arménie. Je suis surpris de voir certains parmi les premiers acheter plusieurs exemplaires à la fois en me disant d’en signer un pour chacun de leurs enfants ou de laisser en blanc le nom du destinataire, sachant qu’ils l’offriront à leurs amis. Dans la diaspora comme à Erevan on me dit que j’ai écrit là tout ce que les uns et les autres auraient voulu dire sur l’Arménie, peut-être avec le recul de l’observateur étranger qui perçoit mieux les singularités d’un pays et d’un peuple. Je suis touché parce que je comprends, à travers leurs réactions, avoir écrit un livre d’amour.

  • Russie, Italie, Arménie, Slovaquie : quelle a été la leçon la plus précieuse qu’à chaque fois, vous avez amenée de vos pays de mission et des peuples qui les habitent ?

A travers tous mes postes à l’étranger, toutes mes rencontres, j’ai découvert combien l’Homme est partout identique, dans sa différence. Nous sentons bien qu’il y a en chacun de nous des choses incommunicables, non pas par pudeur mais par leur singularité. La couleur de nos jours est faite de notre vécu depuis l’enfance et peut-être avant. Tout comme mon essai sur l’Arménie, mes romans, qu’ils se passent en Russie, en Italie, ou en Slovaquie parlent de l’incommunicable en chaque être, car c’est précisément cela qui nous permet de communiquer avec les autres à partir du moment où l’on se persuade qu’ils nous ressemblent. Il faut être prêt à prendre ce pari : on en est toujours récompensé. Mon dernier roman « L’hiver nous demandera ce qu’on a fait l’été » (éditions du Rocher) parle beaucoup des Tsiganes de Slovaquie et il paraît qu’ils s’y sont, eux aussi, reconnus au point de croire que mon histoire était vraiment arrivée chez eux et d’en avoir rechercher parmi eux l’héroïne, Marina, pourtant sortie de mon imagination… Les autres peuvent te paraître proches ou lointains mais, contrairement à la pensée première, c’est toujours toi qui mesures la distance.

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